Moyen Âge
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Roman déconcertant, Jehan de Saintré d'Antoine de la Sale a souvent été considéré comme un pastiche de roman arthurien, mettant en scène un chevalier épris de valeurs dépassées. Or une comparaison entre le destin de Saintré et celui de héros de biographies chevaleresques, comme Jacques de Lalain ou le maréchal Boucicaut, suggère que, loin d'être perdu dans un monde qui n'est plus fait pour lui, Saintré se meut au contraire avec une aise remarquable dans la société de cour et qu'il incarne peut-être un nouveau type de chevalerie. Cette chevalerie mondaine, préoccupée de son apparence, ne se sent plus guère investie d'une mission sociale et se contente de graviter autour du prince. Plus proche de la biographie chevaleresque que des autres romans du XVe siècle, qui, eux, préservent peu ou prou le modèle du chevalier arthurien, Saintré dessine la carrière non d'un chevalier courtois mais d'un courtisan.
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Est-elle bonne ? Est-elle mauvaise ? Aveugle et sourde, ou simplement indifférente ? Arc-boutée sur la manivelle qui actionne la roue des destinée humaines, Fortune fait et défait les rois et les royaumes. Des expressions comme " fortune de mer " ou " à la fortune du pot " font retentir l’écho assourdi de son pouvoir capricieux. De l’Antiquité à la Renaissance, l’art et la philosophie n’ont cessé d’interroger cette puissance, divinité ou allégorie, et de la remodeler aussi, au gré des positions idéologiques et des enjeux esthétiques.
Les études rassemblées par Yasmina Foehr-Janssens et Emmanuelle Métry sont le fruit du dialogue interdisciplinaire qu’engagèrent à Genève un groupe de littéraires, linguistes, historiens, historiens de l’art, théologiens et de philosophes afin de scruter les mille et un visages de Fortune.
Quels rapports Fortune entretient-elle avec ses cousins Chance, Hasard ou Destin et quel rôle peut-elle jouer dans un monde réglé par les décrets immuables de la providence divine ; d’où vient l’image de la célèbre roue, dont les loteries renvoient encore le reflet bariolé ; quelles inflexions originales la poésie et les beaux-arts imposent-ils au traitement d’une thématique d’origine savante ? Telles sont quelques-unes des questions que ce volume pose et qu’il entend résoudre.
Sommaire: Y. Foehr-Janssens et Emmanuelle Métry, "Introduction : “Ensi Fortune se desguise”"; N. Hecquet-Noti, "Fortuna dans le monde latin : chance ou hasard ?"; E. Norelli, "Les avatars de Fortune dans les Actes apocryphes des Apôtres : Une comparaison avec les Métamorphoses d’Apulée"; E. Métry, "Fortuna et Philosophia : une alliance inattendue. Quelques remarques sur le rôle de la Fortune dans la Consolation de Philosophie de Boèce"; A.-L. Rey, "Tychè et Pronoia : notes sur l’emploi de Fortune et Providence dans l’historiographie byzantine ancienne"; J.-Y. Tilliette, "Eclipse de la Fortune dans le haut moyen âge ?"; J. Wirth, "L’iconographie médiévale de la roue de Fortune"; Y. Foehr-Janssens , "La maison de Fortune dans l’Anticlaudianus d’Alain de Lille"; Ch. Lucken, "Les Muses de Fortune. Boèce, le Roman de la Rose et Charles d’Orléans"; J.-C. Mühlethaler, "Quand Fortune, ce sont les hommes. Aspects de la démythification de la déesse, d’Adam de la Halle à Alain Chartier"; J. Lecointe, "Figures de la Fortune et théorie du récit à la Renaissance". études portant sur des poèmes particuliers: A. Carlini, "Gli studi critici sul Pastore dopo la pubblicazione di PBOD 38 e la presenza delle Visioni di Erma nei testi poetici del Codex Visionum"; Th. Gelzer, "Zur Frage des Verfassers der Visio Dorothei Pieter W. van der Horst and Martien F.G.Parmentier A New Early Christian Poem on the Sacrifice of Isaac"; A.-L. Rey, "Le traitement du matériau homérique dans l’Adresse aux Justes"; A. Hurst, "En d’autres termes... Les Paroles d’Abel entre récriture et paraphrase"; E. Norelli, "Quelques conjectures sur le Poème au titre mutilé".
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Le mot progrès n’existe pas au Moyen Age. Et le concept de progrès affleure à peine dans la pensée occidentale. Il est d’autant plus intéressant de réfléchir aujourd’hui sur ses premières manifestations, à un moment où le mythe du progrès, triomphant du XVIIIe au XXe siècle, est radicalement remis en question, et de s’interroger sur la variation des idéaux, des idéologies et de leurs champs d’application au cours des siècles.
Au Moyen Age, les cadres mentaux sont peu compatibles avec l’idée de progrès. Pourtant le christianisme donne un sens à l’histoire et liquide le mythe antique de l’éternel retour et la conception cyclique de l’histoire. Mais le mépris du monde implique le mépris du progrès matériel. Le seul but envisageable est le progrès moral, défini comme recherche du salut éternel. L’idée de progrès apparaît cependant dans les mentalités médiévales à travers un jeu d’oppositions, progrès/réaction, progrès/décadence, passé/présent, antique/moderne, qui implique une réflexion dans les registres historique et politique mais aussi éthique et culturel.
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L’«astrarium», une horloge planétaire qui montrait le mouvement des sept planètes, fut une des plus extraordinaire réalisation technique du Moyen Âge. Cette horloge a malheureusement disparu depuis le XVIe siècle, mais son génial inventeur, Giovanni Dondi, en a laissé une longue description qui est un texte étonnant et un témoignage des plus rare de la culture technique médiévale : il relate en effet par le menu la conception et la réalisation de l’«astrarium» de façon qu’il soit possible au lecteur de réaliser à son tour la même machine. Et, de fait, le texte de Dondi a suscité des entreprises de reconstruction de l’«astrarium». Ce texte, à juste titre célèbre, était pourtant mal connu parce que d’un accès difficile. Emmanuel Poulle, qui a fait de l’astronomie planétaire médiévale une de ses spécialités, a montré qu’il existait trois versions de ce texte, dont une seule peut être avec certitude rapportée à Giovanni Dondi. Il donne de cette version une édition critique avec une traduction française en regard, qui autorisera enfin une meilleure connaissance de ce texte important.
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Dans le deuxième tome du Devisement du monde, Marco Polo parcourt le nord de l’Afghanistan et traverse ensuite la Chine septentrionale, en suivant longtemps le chemin des caravanes (route du sud). Les villes citées dans le Xinjiang et dans le Gansu (Kashgar, Yarkant, Khotan, Tcherchen, puis Dunhuang, Jiuquan, Zhangye, Wuwei) sont des étapes obligées de cette antique voie, dite aujourd’hui route de la soie, qui longe ou franchit le désert du Taklamakan, allant d’oasis en oasis à travers maints espaces désolés. Au-delà de Wuwei, Marco Polo semble avoir emprunté un chemin direct par le Ningxia et par le sud de la Mongolie, aux confins du désert de Gobi, sans doute le long du Huang He (Fleuve Jaune), pour atteindre Xanadu, palais d’été du Grand Khan, situé à trois cents kilomètres au nord de Pékin.
Malgré les déserts redoutables, les étendues prodigieuses – cette traversée de la Chine s’étend sur près de six mille kilomètres –, malgré les innombrables périls de cette expédition aventureuse, le voyageur vénitien a atteint son but. Premier explorateur occidental à pénétrer profondément par cette route dans le vaste empire de Khoubilai Khan, il découvre le monde immense et mystérieux de l’Asie.
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Le manuscrit français 2188 de la Bibliothèque nationale de France est le témoin unique d’un curieux texte, le plus long et le plus leste des fabliaux, copié dans la seconde moitié du XIIIe siècle et qui nomme son auteur, aussi méconnu que son ouvrage est esseulé, Douin de Lavesne.
Trubert, cet antagoniste de la courtoisie et de la sagesse, est " un sauvage et un sot ". Vilain borné, inculte, impie à force d’ignorance, il est aussi trompeur, détrousseur, égrillard, éventreur. En le dotant de la nature trouble des fous, et en le plongeant dans un " roman à rire ", Douin fournit le contre-exemple de la tradition hostile au vilain. Au rythme des fables qui s’accumulent dans ce gros fabliau, Trubert satisfait son appétit du gain, assouvit son appétence jouissive et surtout exerce son goût immodéré pour l’acharnement méchant. Tant de malfaisance risible de la part d’un seul – tour à tour négociant simplet et chanceux, médecin fruste et fourbe, chevalier Haudecœur effarant et efficace, travesti Coillebaude profiteur et prophète, dérisoire David aux prises avec un nouveau Golïas –, pique l’attention, force la complaisance pour ses affaires et établit en définitive notre indulgence pour le personnage.